Pourquoi F.R.I.E.N.D.S. paraît démodée mais est, pourtant, toujours aussi parfaite ?

La sentence est tombée, Netflix va supprimer Friends de sa programmation en janvier 2020. Ayant grandi dans les années 90, j’ai découvert, comme beaucoup de trentenaires parisiens désabusés, Friends à ses débuts, avec ses rires enregistrés et ses petits interludes musicaux entre chaque scène.

Profitant d’une fin de mission et d’une accalmie festive due à une paralysie générale des transports, j’ai décidé de me replonger dans l’intégrale de la série, moins les 12 épisodes que j’ai eu l’occasion de revoir au cinéma pour les 25 ans de la série, le 6 décembre.

C’est parti donc pour Friends again, pour la 10ème fois environ, cette série dont on connait les dialogues par cœur mais dont on ne se lasse jamais !

Série mythique démystifiée


La série culte, découverte aujourd’hui par la nouvelle génération, se fait targuer d’homophobe, raciste, sexiste, ou encore grossophobe… Les aventures de la joyeuse bande, les illustres colocataires new yorkais, sont rudement attaquées et virulemment défendues.

Des articles ont enflammé la toile où sont relayés les impressions de la génération Z, cette génération née après les années 2000, biberonnés aux séries aseptisées, aux acteurs lisses et beaux, baignant dans cette époque ambiguë, voire bipolaire, où sont abordés des sujets graves mais où choquer la population est proscrit.

Friends est donc considérée par la nouvelle génération comme une série cumulant les imperfections : transphobe, homophobe, sexiste et absolument non représentative de la diversité de la population.

Soyons honnêtes, ce n’est pas totalement faux. Les six amis sont tous blancs, américains, honnêtes citoyens et à la situation et au physique plutôt pas mal. Les seuls personnages secondaires qui évoquent une certaine diversité ethnique sont les deux girlfriends de Ross : Julie et le Dr Charlie Wheeler.

Monica est constamment moquée pour son obésité passée, considéré comme une tare, ce qui va à l’encontre des divers messages actuels sur l’acceptation de son corps. Monica a perdu du poids. Donc Monica ne s’acceptait pas en tant qu’obèse. Mais les scénaristes ont abordé le problème différemment. Dans le double épisode 15 et 16 de la saison 6, Ce Qui Aurait Pu Se Passer, les 6 amis imaginent leur vie si, entre autres, Monica était restée obèse. Sans vouloir trop en dire et les raconter dans leur intégralité, ces deux épisodes sont un bel exemple de ce qu’on peut apparenter aujourd’hui au #BodyPositive.

Chandler, à la virilité parfois ambigüe se retrouve régulièrement questionné et raillé sur ses préférences sexuelles. Un sujet redondant, un running gag, que le personnage, gauche et bourré d’humour, semble accepter, et ce à travers toute la série et grâce à quelques épisodes, dont celui de la première saison où il assume sa « qualité » homosexuelle… Il le dit lui-même, s’il voulait se faire un Brian, il pourrait se faire un Brian, n’est-ce pas Brian ?

Ou encore un homme nounou qui fait débat, parce que bon, faut l’avouer, c’est quand-même un travail de nana…

Dans une société où les hashtags #BalanceTonPorc et #BodyPositive défraient la chronique et où les problèmes LGBTQ+ deviennent centraux, Friends peut, en effet, être considérée comme affreusement obsolète et arriérée.

Avant-gardiste et visionnaire !

On notera cependant que le show fait partie des premières séries, si ce n’est LA première série, à célébrer un mariage lesbien, dans la saison 2. L’acceptation de l’homosexualité, notamment par la famille, est d’ailleurs abordé lorsque le mariage manque d’être annulé parce que les parents d’une des mariées ne veulent pas y assister.

Phoebe a également épousé un patineur artistique gay. Après des années de mariage blanc il se révèle hétéro et en semble mortifié. Comment accepter cette nouvelle situation ? Ses parents l’accepteront facilement eux, car ils sont plutôt ouverts, et son frère est hétéro lui aussi… Le parallélisme entre l’homo qui fait son coming-out hétéro et le coming-out gay est plutôt bien vu.

Le sujet de l’adoption homosexuelle est également approché lorsque Chandler et Joey se balade dans New York avec le fils de Ross. Bon, ok, dans le but de lever des nanas, mais bon, on ne peut pas tout avoir. Doit-on oublier qu’il s’agit encore une fois d’une des seules séries de l’époque qui soulève la question ?

N’oublions pas le principal et commençons par le commencement.

La série a fait ses débuts aux États-Unis en 94 et est sortie en France en 96. Elle a donc 25 ans, et ce n’est pas rien. Nous assistons à un phénomène qui pourrait bien avoir sa place dans les livres d’Histoire des petites têtes blondes d’aujourd’hui : examiner les œuvres d’hier avec un regard actuel. Anticiper les avancées sociales et morales pour les scénaristes de l’époque relève de la gageure. Ce qui fait tiquer aujourd’hui la génération bienpensante de notre société actuelle est finalement, en réalité, une critique humoristique d’un autre temps, le tout bien emballé dans le respect des codes sociaux et moraux de l’époque.

Finalement, en y regardant de plus près, on peut se rendre compte, si on décide d’accorder à la série qu’elle est sortie il y a 25 ans et non il y a 25 jours, de son aspect extrêmement novateur et ouvert d’esprit. Oui, les enjeux ne sont pas abordés comme ils le seraient en 2019, on ne peut le nier. Mais jusqu’à présent rien de plus normal car la réalité des années 90 n’est pas celle d’aujourd’hui.

Encore une fois en avance sur son temps, la série traite d’enjeux sociaux acerbes toujours avec cette touche d’humour qui vise à dédramatiser. Phoebe en est le meilleur exemple. Sous ses airs d’hippie végétarienne, artiste et spirituelle, guidée par ses émotions et souvent un peu loufoque, elle a souvent une vision très juste de la société. Anticonformiste à mort, anticapitaliste avant l’heure, anti-consumériste en bloc, c’est un peu une militante écologique de 2019, 25 ans auparavant.

Les trois nanas de la série sont des femmes fortes, indépendantes et ambitieuses, n’en déplaise aux féministes qui tombent à la renverse devant le pseudo machisme des trois garçons.

Que dire de Rachel ? Enfant gâté, venant d’un milieu plus qu’aisé, elle compte quitter le nid parental pour un domicile conjugal plus que confortable. Son futur mari est un orthodontiste de l’Upper East Side, qui lui promet une vie douce et à l’abri du besoin. Une perspective qu’elle renie en bloc en préférant fuir le jour de son mariage pour repartir à zéro. Finie la Dolce Vità, bienvenue dans le monde réel, ça craint, et elle va adorer !

Les blagues considérées comme homophobes ne sont qu’un moyen de dénoncer les idées souvent rétrogrades de l’époque. Pour ceux qui en douteraient, jetez un œil ou sketch de Desprosges pour comprendre. Bon comparez F.R.I.E.N.D.S à Desproges j’avoue que je pars loin, pour changer, mais dans l’idée globale on peut comprendre que les deux références s’apparentent.

Génération contestataire


La société d’aujourd’hui a ce côté révolutionnaire et contestataire, en accord avec son époque. Devant ce ras-le-bol général tout est réévalué, décortiqué et discuté. Mais critiquer Friends reviendrait à vouloir dénaturer toutes ces œuvres d’antan faisant partie de la culture populaire mais qui, écrites aujourd’hui, en ferait bondir plus d’un. Il est parfois nécessaire de remettre les choses dans leur contexte avant de livrer une critique acerbe de l’œuvre. A l’aune d’une pensée de masse, uniforme et cautérisée, où tout est dénaturé et partagé à outrance sur les réseaux sociaux, la réflexion du contexte n’est malheureusement plus une priorité. Si la société de consommation est vivement critiquée, elle a pris un autre tournant : de nos jours on consomme l’information, on enfourne avidement tous ces programmes pré mâchés et pré digérés, en se félicitant silencieusement d’apprécier toutes ces critiques qui se veulent âpres et rudes mais qui, finalement, ne sont que beaucoup trop politiquement correctes.

Fresque anthropologique des années 90


Friends, c’est un peu fresque anthropologique des trentenaires new yorkais des années 90. Nous, les trentenaires de 2020, nous avons découvert le show alors qu’on avait une dizaine d’années. La redécouvrir 20 ans plus tard, avec ce nouveau recul, permet de comprendre la série totalement différemment. La réalité technologique de l’époque n’est plus la même, mais nous avons cependant connu la vie sans téléphone portable, sans les Internet ni les réseaux sociaux. Wikipédia n’existait pas, l’Encyclopédie Universalis trônait elle aussi dans nos bibliothèques. N’est-ce pas, Joey ?

Il est, par conséquent, peut-être plus facile pour nous, les trentenaires d’aujourd’hui, abreuvés de technologies, de comprendre et de transposer tous les problèmes des six amis. Parce que si les régler paraît plus simple aujourd’hui, les problèmes de fond restent les mêmes en 99 ou en 2019.

Finalement, dire aujourd’hui de Friends que c’est une série rétrograde c’est oublier, consciemment ou pas, tous ces enjeux ultra progressistes, racontés dans une série, à l’époque très libérale, sur le ton d’un humour incisif et novateur. N’en déplaise aux détracteurs qui n’ont peut-être pas les épaules suffisantes pour apprécier la série.