Jeanne du Barry, Jeanne du pourri
Commençons par le commencement : « Ton film, c’est de la merde ! Si les gens viennent le voir, ce sera uniquement pour moi. » C’est ce qu’a sorti Johnny à Maïwenn à propos de Jeanne du Barry. S’il n’a pas totalement tort sur la qualification malodorante du film, cette phrase est lourde de sens quant à l’état d’esprit de Depp :
– Si c’est de la merde, pourquoi y jouer ?
– Il se prend vraiment pas pour son film du coup pour sortir un truc pareil.
Non, vraiment, plus le temps passe, moins je l’aime bien celui-là.
Le film faisait polémique avant même sa sortie et sa présentation officielle au festoche, dans une démarche un peu dégueu de redorer de blason d’un acteur en perdition. Après le procès ultra médiatique qui l’opposait à son ancienne femme Amber Heard, qu’il a gagné, Johnny Depp est devenu un figure emblématique masculiniste, briseur du mouvement #MeToo, de plus en plus fragilisé. Sa carrière sur le déclin a pu reprendre un nouveau souffle, et Maïwenn s’en est autoproclamée la sauveuse. Finalement, ce film n’est pas beaucoup plus qu’un prétexte un peu puant et arrogant pour la filmer elle et pour relancer Depp sur le devant de la scène. Plongée en apnée dans l’egotrip pas super assumé d’une réalisatrice paumée…
Une ambition affichée
Avec ce film, Maïwenn tente de choquer, sans subversivité. Du coup c’est raté et le film ne devient qu’un simple enchaînement de jolies images encensant la beauté de la femme et magnifiant la tolérance d’un roi. Elle s’évertue à faire passer la comtesse pour une sainte, féministe dans l’âme, érudite et fine, ce qui était possiblement le cas mais qui dénote beaucoup avec les positions des deux protagonistes. Parce-que si le film est moyen, voire plutôt naze, c’est le scandale qui éclabousse les deux acteurs qui m’intéresse.
Il n’est plus possible en 2023 de séparer l’homme de l’artiste, en ce qui me concerne. Je sais que ma critique de l’Affaire Dreyfus pouvait faire penser le contraire mais depuis 3 ans les pensées dans ma petite tête ont évolué. Aujourd’hui Johnny Depp me dégoûte et Maïwenn me débecte. Je ne voulais même pas aller voir le film mais un bon ami à moi m’a demandé si ça me disait et bon, j’ai du mal à dire non à un film. Après tout rien ne m’oblige à l’apprécier et avec ma carte UGC je peux tout aller voir sans réellement culpabiliser. Et le meilleur moyen de se faire une réelle opinion, c’est finalement de bien connaître son ennemi : j’ai nommé les acteurs d’un monde profondément caduque, à l’ancienne, où la domination masculine a encore un bel avenir devant elle.
Le patriarcat a besoin d’alliées
Pour continuer à régner en maître, le patriarcat a précisément besoin des femmes, et plus précisément de femmes dans son camp. Dans son livre Les Femmes de Droite, Andrea Dworkin, militante profondément féministe, tente de comprendre pourquoi certaines femmes rejettent le féminisme et n’hésite pas à se montrer racistes ou homophobes, Thaïs si tu nous écoute. Paradoxe étrange car les femmes font partie d’une minorité écrasée, donc la logique voudrait que ces causes leur parlent et les engagent. Subordonnées aux hommes, les femmes de droite finissent par conclure le marché qui leur semble le plus avantageux : se rallier à la tradition, les valeurs masculines pour s’assurer protection, amour et respect. Evidemment c’est un leurre puisque le patriarcat, de fait, exclue les femmes et encourage l’exploitation de leur sexualité. C’est comme ça que l’on voit fleurir sur les réseaux de toute sorte et, plus récemment, sur Tik Tok, ces comptes de mâles alpha (et récemment sigma, tout l’alphabet grec va y passer), type Andrew Tate (exclu récemment de Tik Tok mais on fire sur Twitter) ou Alex Higens, qui remettent au gout du jour l’adage « sois belle et tais-toi ». Ce genre de type qui pointe du doigt des vérités pour lesquelles nos ancêtres se sont battus et ont brulé leur soutif, en assénant à coup de « elles l’ont bien cherché » que les hommes en 2023 ont perdu leur suprématie et qu’il est grand temps d’aller la reprendre.
On peut donc se poser la question de pourquoi Maïwenn se revendique anti-féministe. N’oublions pas qu’elle s’est mariée à Besson à 16 ans, et qu’il en avait 33…, qu’il l’a quittée quand elle avait 20 ans pour Milla Jovocitch qui avait son âge, majeure donc mais toujours de 17 ans plus jeune que son époux. Finalement des violences elle en a probablement subies, mais si elle ne le voit pas comme ça, finalement, c’est son choix.
Jolis costumes
Les costumes sont jolis, les décors aussi, l’histoire est finalement sympatoche, mais ce qui me dérange c’est cette volonté non feinte de dépeindre une femme extraordinaire. Ok, Jeanne du Barry était une visionnaire qui prônait l’émancipation, mais elle était loin de la gentille nana un peu naïve et idéologique que Maïwenn dépeint. Ce n’était absolument pas l’ingénue, intello, jolie et altruiste, non, c’est une femme du peuple qui s’est vite rendu compte que sa beauté la sortirait de sa condition et qui a usé de ses charmes pour s’en sortir. Rien de réellement condamnable, surtout à l’époque, mais il convient de remettre les choses dans leur contexte.
Finalement, ma conclusion est simple : Maïwenn a subi des violences, et comme elle l’a dit elle-même, quand on est habitué aux violences on ne peut s’empêcher de les reproduire, ça devient presque une addiction. Aujourd’hui, à 47 ans, elle est toujours une enfant blessée qui recherche une validation dans les yeux de ceux qui ne pourront jamais lui donner. Et qui crache à la figure des autres victimes, comme pour se protéger. Le film n’est ni plus ni moins qu’un égo trip de la réalisatrice, un prétexte pour se filmer elle-même, et un peu choquer la pensée de 2023. Si sa position actuelle de femme et le choix de Johnny Depp en Louis XV ne sont que le résultat de son passé torturé, Maïwenn a cependant la possibilité aujourd’hui de s’affranchir de ses violences et elle peut faire le choix de se reconstruire sans invisibiliser la paroles des victimes. Quel message est transmis par le monde pailleté du 7ème art quand Polanski gagne 3 Césars en 2020 et que Jeanne Du Barry fait l’ouverture du Festival de Cannes en 2023. Que Johnny Depp a droit à une standing ovation de 7 minutes et qu’il pleurniche sur le fait qu’à Hollywood il ne peut pas être lui-même (quoi ? Un sale c%$£@ dégueu sur le déclin qui profite de son statut de star mondiale pour s’imposer aux autres et ne pas assumer ses actes ?).
Aujourd’hui chacun est libre de se ranger du côté qu’il souhaite, tolérer à outrance ou tolérance zéro, du côté féministe ou de celui des masculinistes, du côté des victimes ou des bourreaux, mais ne nous leurrons pas, tant que nous serons des femmes, quelque soit le côté choisi, nous ne serons que l’ombre de l’homme, et il est grand temps que ça change.