23 ans après, j’ai revu Soleil Vert

Sur la chronique Affaires Sensible, France Inter vient de s’intéresser au cas Soleil Vert. Je l’ai vu quand j’avais 13 ans, et je me souviens avoir adoré mais une seconde lecture ne fait jamais de mal surtout quand le sujet est à ce point visionnaire et politique. Je l’ai trouvé en location sur Canal+ et je me suis replongée dedans, parce qu’aujourd’hui, 23 ans plus tard, le contexte n’est plus le même tant dans le monde que dans ma tête.

New York en 2022. Un brouillard a envahi la surface du globe, tuant la végétation et la plupart des espèces animales. D’un côté, les nantis qui peuvent avoir accès à la nourriture rare et très chère. De l’autre, les affamés nourris d’un produit synthétique, le soylent, rationné par le gouvernement… Lors d’une émeute, le président de soylent trouve la mort et Thorn , un flic opiniâtre, est chargé de l’enquête…


Film révolutionnaire, dans tous les sens du terme, c’est évidemment ma mère qui m’a postée devant, pour parfaire ma culture cinématographique d’abord, et pour me faire réfléchir ensuite. Je ne peux que remercier mes parents qui ont vu dans l’art une manière de m’élever et de me donner des clefs pour appréhender le monde dans lequel on vit. Soleil Vert n’est pas une exception qui confirme la règle. Dans ce film qui a l’époque, en 1973, restait de la science-fiction, les hommes suffoquent dans un monde apocalyptique. Pour comprendre tous les enjeux du film il faut le replacer dans son contexte géopolitique : dix ans plus tôt, en pleine guerre froide, les américains vivaient avec la peur d’un désastre nucléaire. 30 ans auparavant c’est la seconde guerre mondiale qui s’achevait à peine. La fin du monde était finalement une notion familière. Au delà de ça, la course à la croissance et l’obsession de la consommation, post guerre mondiale, a vu ses ambitions à la baisse suite au choc pétrolier d’octobre 73 et quelques économistes en 72 ont publié un essai « Halte à la croissance » pour dénoncer les effets pervers de cette volonté de sur-consommation : l’idée que les ressources et que la planète peuvent se tarir commence à faire son chemin.

Arrière-goût

Des inégalités, il y en a toujours eu, tant dans les films que dans la vie. Pendant que la moitié du peuple se bat pour bouffer, les chefs de ce monde vivent dans l’opulence. Evidemment que ça résonne, évidemment qu’on se sent concernés aujourd’hui comme hier. Les deux premières scènes sont stupéfiantes : un homme fait rouler un vélo d’appartement pour tenter d’allumer une ampoule quand, lors de la scène suivante, une femme joue à un jeu vidéo au milieu d’une pièce éclairée à toute berzingue. Sobriété énergétique. C’est la « femme » d’un homme riche, probablement dirigeant de ce terrible monde. Finalement, on se rend compte que c’est un job pour elle, parce qu’elle est jolie mais pauvre et que ce monde ne tourne décidément pas rond.

Le monde suffoque, les pauvres s’entassent, n’ont plus rien à becter à part cette bouffe synthétique immonde et seuls les riches peuvent se payer le luxe de parfois tailler la bavette, au sens propre. Seul le fameux soylent green, à base de plancton, est pas trop dégueu et est plus ou moins accessible à tous. Les émeutes lors des arrivages sont cependant sévèrement réprimées. Non, vraiment, résonances…

Outre l’histoire et le scénario qui prennent aux tripes, et le twist final qui m’avait sévèrement traumatisée gamine, le film est une sacrée claque parce qu’il nous rappelle constamment, au travers de scènes chocs, l’inconscience du mode de vie occidental. Si aujourd’hui l’idée même qu’un lopin de terre fertile ou qu’un bon gros steak saignant disparaissent devient de moins en moins un mythe, il n’est pas possible dans notre esprit que tout ça disparaisse totalement. Et pourtant, Soleil Vert, 50 ans en arrière, tire la sonnette d’alarme en nous amenant une vision alternative de notre réalité et en la rendant crédible, et effrayante. Finalement, si en réponse à notre obsession du luxe, parce que manger de la viande à tous les repas et changer de smartphone tous les 2 ans, c’est un luxe que la moitié de la planète ne s’offre pas, les ressources viennent à manquer, ce n’est pas simplement notre confort qui sera mis à mal mais également nos rapports aux autres. La violence monte déjà, la suite n’en sera que plus dramatique.

Soleil Vert reste 50 ans après solide et efficace dans son propos, avec un scénario qui tient la route et qui ne laisse présager rien de bon pour notre planète. Si la technique et les effets spéciaux ont quelque peu vieilli, le sujet reste cruellement d’actualité et te file une sacrée claque dans ta prise de conscience. Parce que dans ce film, à la lutte des classe se succède inévitablement celle de la survie de notre espèce.