Antebellum
Uchronie anachronique sur fond d’esclavagisme d’antan et de racisme moderne, la double temporalité d’Antebellum nous plonge dans la vie de Veronica Henley, auteure à succès de notre temps et dans celle d’Eden, esclave noire dans une plantation de coton.
Alors que Lovecraft Country est toujours disponible sur OCS en France, la dernière production cinéma de Jordan Peele est, elle, disponible sur Canal+. Avec un bande annonce qui défonce et un casting comme on les aime que vaut ce film qui promettait de consacrer le mouvement #BLM sur grand écran ?
Sur l’affiche du film trône l’injonction « surtout ne vous spoilez pas la fin ». Promesse d’un twist final, quelque peu mensonger puisqu’il arrive, finalement, plus au milieu du film qu’à son dénouement, et qui, d’une certaine manière, se tire une balle dans le pied parce que dès que nous, téléspectateurs, nous attendons à une fin qui remet tout en cause on a tendance à vite la repérer.
Un scène d’introduction extraordinaire
J’avoue tout, j’ai dû la regarder trois fois tellement elle m’a subjuguée. Bien filmée, une photographie impeccable, une musique émouvante qui accompagne la scène à la perfection, l’intro du film promet de grandes choses. De cette scène nous sommes spectateurs de toute l’horreur de l’esclavagisme sudiste des champs de cotons. Les esclaves noirs sont déshumanisés, humiliés, torturés, violés, tués.
Eden, esclave dans ce champs de coton, reste impassible face aux violences qu’elle et ses semblables subissent au quotidien mais prépare en secret une insurrection dissidente. Après s’être fait violer et marquer au fer rouge par le sinistre caporal, elle s’endort, en larmes et éreintée. Lorsqu’elle se réveille en sursaut, elle est Victoria, sociologue reconnue du XXIème siècle, spécialiste de la ségrégation raciale et de la libération des Afro-américains.
Le cœur de l’intrigue du film réside en faire le lien entre les deux femmes, toutes deux jouées par Janelle Monàe, qu’est-ce qui unit Eden et Victoria, cette esclave en pleine Guerre de Sécession et cette écrivaine reconnue ?
Qu’est-ce que le passé ?
Ouverture grandiose et citation de William Faulkner « Le passé n’est jamais mort. Il n’est même jamais le passé ». Jolie petite piqûre de rappel sur le fait qu’on répète souvent les mêmes erreurs et que l’Histoire se répète. Il s’agit donc de mettre en lumière comment la ségrégation raciale aux Etats-Unis, qui fait figure de point culminant de ce racisme systémique qui a contribué à la constitution même de cette Nation, a laissé de profondes stigmates et impose encore aujourd’hui des tensions indéniables. C’est d’autant plus flagrant que le film est sorti sur grand écran en plein pendant que le mouvement de grande ampleur #BlackLivesMatter, née des violences répétées de la police à l’encontre des Afro-américains, enflamme les débats et les rues outre Atlantique.
Le film promet d’être dans la veine de Get Out, magnifique film qui a su résoudre l’équation avec bien plus de brio, film hybride entre horreur hallucinatoire et comédie âpre où un jeune Afro-américain passe un weekend rocambolesque dans la famille caucasienne de sa douce, privilégiée mais qui semble néanmoins consciente du déséquilibre racial qui anime le pays. On finit par réaliser qu’il n’en est rien et que la famille bien sous tout rapport est en fait dirigée par un sentiment de domination raciale et sont d’atroces bourreaux qui souhaitent par dessus-tout décrédibiliser et avilir la communauté noire américaine. Un film qui use brillamment de métaphores expressives sur l’identité noire aux Etats-Unis.
Imparfait mais pas si mauvais
Les promesses ne sont pas tenues dans leur ensemble, le film a des aspirations énigmatiques, idéologiques et conceptuelles qu’il peine à atteindre. Mais globalement, si le film souffre d’imperfections, une absence de tension criante, l’effet de surprise avorté par une promesse de twist et l’horreur qu’on attendait et qui n’est jamais venue, finalement le film se laisse regarder et reste une jolie critique de la société raciste américaine comme il en fleurit depuis quelques temps sur nos écrans.