J’accuse ou l’histoire de polémiques

Nouveau grand film pour un réalisateur de génie. Est-il aisé de tenter l’appréciation d’un film, tout génial qu’il soit, dans un contexte où son créateur est au centre d’un nouveau scandale ?

L’affaire Dreyfuss : épisode clé de notre Histoire que l’on pensait connaître sur le bout des doigts. C’était sans compter sur le nouveau souffle que lui apporte Polanski qui relègue le célèbre capitaine au second plan pour mettre en lumière l’enquête du colonel Picquart, bon petit soldat, qui révèlera la machination, par un sens aigu du devoir.

Un film sans aucun doute exceptionnel


Pendant douze ans l’affaire tristement célèbre aura divisé la France. Immense scandale qui mêle erreur judiciaire, déni de justice et machination antisémite. Le film est raconté du point de vue du colonel Picquart, faisant du capitaine un personnage secondaire. Nommé à la tête du contre-espionnage, le colonel finira par découvrir la machination et, au péril de sa carrière et de sa vie, mettra tout en œuvre pour découvrir les vrais coupables et pour innocenter Dreyfus.

L’antisémitisme n’a pas attendu la barbarie Hitlérienne pour exister. C’est d’ailleurs parce qu’il était bien ancré que le nazisme a pu avoir ces « beaux jours » devant lui. Finalement l’affaire Dreyfus ne met pas en exergue l’erreur judiciaire mais plutôt cette plaie asphyxiante qui étouffe la France depuis des décennies. En choisissant cette affaire, lourde de sens, Polanski continue, par son œuvre, sa tentative de résoudre cet intense traumatisme qu’il accuse depuis sa fuite du ghetto de Cracovie.

Ce n’est donc pas un hasard si Polanski décide de porter l’affaire sur grand écran car, à travers l’œuvre, il s’empare d’un symbole qui annonce sournoisement les deux grandes guerres qui écorcheront violemment le paysage européen.

Malaise…


La sortie du film sera accompagnée du scandale qui éclabousse Polanski. Impossible de ne pas transposer Dreyfuss, bouc-émissaire parce que juif dans une France profondément antisémite, et une certaine vision que le réalisateur a de lui-même. La question de l’homme et de l’artiste se pose. Il est difficile d’accepter que Polanski se place comme victime dans le marasme de ses frasques. Et beaucoup s’évertueront à voir dans ce film une instrumentalisation gênante, Polanski se sentant indéniablement victime de harcèlement . Mais ce ­serait négliger le sentiment de persécution, de paranoïa qui constituent la plupart de son œuvre.

La sentence est terrible ? Si les Césars, malgré une volonté de bien faire je suppose, m’ont fait l’effet d’une mascarade, vulgaire et ridicule, je suis cependant consciente que délier, enfin, les langues ne peut qu’être positif dans une société encore beaucoup trop patriarcale. Mais je ne suis pas certaine qu’on sache encore comment bien le faire. Ca ne reste que mon avis et on me traitera sûrement d’insensible mais, malheureusement, je sais de quoi je parle.

Evidemment je ne défendrai pas bec et ongle un homme qui, en plus d’être bourreau, se positionne comme victime. C’est indécent. Mais fustiger une œuvre aussi spectaculaire parce que son auteur est un salaud reviendrai à bouder Voyage au bout de la Nuit. Mais c’est différent, Céline est mort il y a bien longtemps.

S’il n’est pas aisé d’avoir une position dans cette affaire, il est également difficile de ne pas reconnaître que l’œuvre est, au moins, exceptionnelle, bien qu’elle finisse par prendre des allures de justification personnelle et que nous soyons face à une situation moralement complexe.

J’accuse est un grand film, donc, où le travail incontestable d’une équipe grandiose a permis un film qui dénote par son extrême intelligence et sa finesse incontestable. Sujet maîtrisé pour grande leçon d’Histoire.

Mais, d’un point de vue artistique, il n’est pas commode de se ranger du côté de l’œuvre et de l’artiste par les temps qui courent.