Les Chatouilles

Je viens de vivre un petit événement qui est venu remuer pas mal de choses du passé. Depuis toujours je pratique la thérapie par l’écriture et ça fonctionne plutôt bien, même si ça ne m’a jamais empêché d’enfouir mes traumas bien profondément. Quoiqu’il en soit, une petite secousse a libéré quelque chose de bien plus conséquent et je ne peux plus l’ignorer. Je n’ai jamais voulu voir ce film, Les Chatouilles, pour des raisons qui m’appartiennent, et aujourd’hui, en scrollant sur Tik Tok je vois un extrait du film qui m’a fait pleurer toutes les larmes de mon corps. Du coup, évidemment, je l’ai lancé.

Odette a huit ans, elle aime danser et dessiner. Pourquoi se méfierait-elle d’un ami de ses parents qui lui propose de « jouer aux chatouilles » ? Adulte, Odette danse sa colère, libère sa parole et embrasse la vie…


Finalement, ce n’est pas l’histoire d’un viol mais celui d’une enfant puis d’une adulte victime d’un lourd traumatisme et qui ne s’en remet pas. La vie continue, bien sûr, on fait avec et on tente d’avancer, parfois on ne se rend pas vraiment compte que nos agissements sont le résultat de tout ça. Et le sujet, tabou et chuchoté, voire ignoré au sein de sa propre famille, est présenté dès l’introduction du film : le viol répété, et plus précisément la pédophilie.

Aucune volonté de choquer dans ce film mais d’exorciser. La co-réalisatrice, qui joue également le rôle principal d’Odette, Andréa Bescond raconte sa propre vie, sa propre enfance à travers Les Chatouilles, sans fausse pudeur avec une profonde crédibilité qui n’a d’égal que la cruauté du sujet. Comment finalement réussir à embrasser la douleur d’une enfance brisée, du silence qui a accompagné la construction de l’enfant à l’adulte, ce besoin irrépressible de se dire qu’on maîtrise notre vie et ses déviances, la peur des réactions finalement pas si infondée. L’angoisse de l’indifférence, celle de la violence, le rejet, le désir, l’échappatoire, qui finissent par devenir tout ce qu’au fond est connu et qui rassure.

Andréa Bescond inspire le respect tant elle réussit à ne pas entrer dans un misérabilisme malaisant. Karin Viard joue à la perfection la mère narcissique et abusive, culpabilisante et dépassée. Evidemment, loin de moi l’idée de la fustiger, mais ça reste un sujet compliqué. Il est clair que la mère aime sa fille, mais elle ne sait pas comment le faire. Alors, involontairement ou non elle la culpabilise, à chaque fois qu’elle ouvre la bouche. On la ressent bien, ou bien je le ressens bien, sûrement parce que je vois ce film à travers le prisme de ma propre expérience, mais finalement c’est le propre de chacun devant un film ou une oeuvre, quelque soit l’art.

Chaque instant est d’une cruelle réalité, très bien mis en image par une réalisation sans fausse note, le sujet est triste et grave mais traité avec une sacré dose d’humour. En visionnant ce film j’ai compris beaucoup de choses, à l’instar des amis d’Odette qui quand elle leur avoue son « expérience » lui disent qu’il la comprennent mieux. Ce besoin d’imaginaire, ce besoin d’échapper à une réalité et cette fausse indifférence sur ce qu’on peut bien en penser. Ce besoin de vivre surtout, malgré ce poids énorme, apprendre à dépasser tout ça, à travers ses passions, ses envies, ses joies et ses douleurs.

En conclusion ce film est une réelle thérapie pour celle qui l’a réalisé comme pour celles et ceux qui le voient. Oscillant entre la fragilité et la maladresse d’une enfant maltraitée à bien des égards, Les Chatouilles est une épatante séquence sur la survie et la résilience.