Les Sept de Chicago, ils étaient huit…
Scénario d’exception et casting en or, le film, prévu initialement pour une sortie sur grand écran avec Paramount Pictures, a été vendu, pour cause de pandémie, à la plateforme Netflix. Bonne pioche !
En relatant un triste épisode de l’histoire des Etats-Unis, datant d’il y a un peu plus de 50 ans, Aaron Sorkin nous donne sérieusement à réfléchir sur une quelconque résonance avec l’actualité. Avec ses Sept de Chicago, le cinéaste ne pouvait, toutefois, donner un exemple plus criant d’une accablante redondance Historique.
Vice de procédure
En 1969, les États-Unis sont témoins de l’une des affaires les plus invraisemblables de leur Histoire. Celle des Sept de Chicago qui, en réalité, étaient 8, dirigeants de différents groupes d’activistes chez les étudiants, les défenseurs de la contre-culture, les Black Panthers et les militants anti-guerre du Vietnam. Accusés à tort par l’administration Nixon d’avoir initié, organisé et délibérément incité les émeutes sanglantes qui ont accompagné le Congrès National Démocrate d’août 1968, ils se retrouvent au centre d’une vaste blague judiciaire où tout est autorisé pour mater la rébellion.
Le scénario nous en met plein la face, sur fond de procès, genre à part entière, quoique hybride, car pouvant mélanger drame, comédie, biopic, film historique, thriller, et j’en passe. Ici, nous sommes clairement face à un drame judiciaire historique, transcendé par la sublime plume d’Aaron Sorkin, et magnifié par le jeu d’acteur, sans aucune fausse note, d’un casting cinq étoiles.
Disruption de la fin des années 60 et affrontement de deux générations, ceux qui veulent rester dans les traditions des années 50 et ceux qui accueillent, à bras ouverts, les années 70 avec tout le changement qu’elles impliquent.
Un film sur les années 60 ? Résonance et réflexion
Sur fond de mensonges politiques, de contre-feu organisé et d’élection présidentielle, tout dans ce projet rappelle l’actualité américaine. A l’heure où la présidentielle 2020 fait rage aux États-Unis, il ne fait aucun doute que les Sept de Chicago est bien plus qu’un film historique. Sorkin l’a d’ailleurs confirmé en interview :
Le film n’est pas une leçon d’histoire, il n’est pas question de 1968 – il s’agit surtout d’aujourd’hui.
Aaron Sorkin
En s’attaquant à l’un des procès les plus risibles de l’Histoire américaine, Aaron Sorkin s’empare avec talent de cette affaire pour y faire résonner brillamment l’écho d’une triste actualité.
Difficile de ne pas comparer les mensonges de l’administration Républicaine, profondément hypocrite, pour contrôler les rebelles, au ridicule du bouffon qui se prend pour un roi dans l’actuelle Maison Blanche. Idiot invétéré qui balance fake news et débilités à la pelle en espérant, depuis son bureau ovale, qu’on avale ses conneries.
Le racisme systémique envers les Afro-américains, actuel à bien des égards, résonne dans nos yeux, nos oreilles et nos cœurs lorsque l’on constate le sort réservé au leader des Black Panthers, Bobby Seale, seul Noir du procès, accusé « pour l’exemple ». Décidément, rien n’a totalement changé et l’histoire se répète.
D’ailleurs, la scène où Bobby Seale se retrouve bâillonné en pleine audience et où on lui demande s’il peut respirer, fera penser aux sinistres mots « I can’t breathe », prononcés par Eric Garner et George Floyd, respectivement assassinés par une police zélée en 2014 et 2020.
Et enfin les émeutes, à l’origine du procès, ravivent ce souvenir lancinant des violences policières, partout dans le monde, de Hong Kong à la France, car Les Sept de Chicago sont universels et cette façon qu’a Sorkin de les transcender à travers ce procès de plus de cinquante ans, rendent les propos de ce film extraordinaire d’autant plus intenses et terribles.
A democratic convention is about to begin in a police state. There just doesn’t seem to be any other way to say it.
Chicago 7
Et pourtant, si le film fait parfois pleurer, il prend des allures de comédies, fait sourire, rire souvent. Parti pris ingénieux et judicieux car il met en exergue cet aspect parodique d’un procès qui n’existe, en somme, que pour discréditer les opposants de Nixon. Un juge absurde de mauvaise foi, un avocat aussi apathique que belliqueux, des accusés drôles d’insolence et d’arrogance, culottés, spirituels et génialement pertinents.
Si on ajoute à ça cette euphorie galvanisante que génère en nous, génération désenchantée, cette ébauche presque graphique d’une merveilleuse baston, cette révolte qui gronde, le sang de la Terre qui inonde nos veines, et nous permet d’anticiper le drame qui se trame. S’enchaînent donc les scènes statiques au tribunal, où les corps immobilisés sur le banc de accusés bouillonnent d’impatience et de tension pour faire éclater une vérité cachée par des paroles politiques fourbes et sinueuses, et les scènes d’émeutes en cascades, remarquablement reconstituées et d’une esthétique spectaculaire.
Le film se termine alors par une scène qui deviendra certainement iconique, non loin de nous rappeler l’esprit d’un Cercle des Poètes Disparus et, après que l’écran devienne tout noir, on entend encore scander :
The whole world’s watching !