Netflix, ce nouveau symbole de la société de consommation

Période inédite certes, confinés et bloqués chez nous, tous les lieux de rassemblement publics, bars, restos, boîte de nuit et cinéma ont fermé leurs portes sur ordre ministériel le 16 mars. Et ce n’est pas vraiment de bon cœur que l’on s’est pliés aux injonctions gouvernementales. Evidemment, nous voulons tous endiguer l’épidémie du mieux que nous le pouvons, éradiquer ce virus qui semble nous prendre de haut et nous renvoyer à notre condition d’être humain, si fragile face aux soubresauts imprévisibles de la vie. Mais il est difficile, dans le même temps, de ne pas se sentir touchés par les actes de bravoure de ces héros du quotidien qui chaque jour luttent contre le virus pour nous laisser pense que nous continuons à vivre, ces aides-soignants toujours plus combattifs, ces caissiers et caissières qui se lèvent tous les matins la boule au ventre, ces éboueurs qui ne peuvent pas abandonner leur poste et qui nettoient tous les jours les rues. Ces établissements qui vont devoir mettre la clef sous la porte car fermer, même une semaine, les met dedans, pour rester polie. Ces salariés qui ne touchent plus rien, mis au chômage technique contre leur gré, abattus sur le champs dès la première bataille.

Que dire des partons peu scrupuleux ? Certains s’inquiètent, à raison, de leur chiffre d’affaires, en baisse pour en pas dire en berne. D’autres tentent de contourner les lois pour réussir à maintenir leur cap, n’hésitant pas à envoyer au front leurs employés. Oui parce qu’il est bien-sûr évident qu’il vaut mieux risquer la vie des autres plutôt que ses propres intérêts. D’autres se frottent les mains, sourire en coin, voyant leur activité exploser – Jeff Bezos, si tu m’entends. Une période très difficile à bien des égards et qui ne laisse présager rien de bon lorsque nous serons, enfin, sortis de chez nous. Mais l’heure n’est pas aux élucubrations aux accents politiques d’une petite blonde coincée sur son canapé. Revenons aux moutons que j’avais prévu d’explorer. Netflix et le cinéma.

Le rapport évident entre le confinement et la plateforme de streaming est, je vous le donne en mille, la fermeture des cinés et cet accès illimité à certains films et séries, certains très bons d’autres moins, mais il en faut pour tous les goûts pour satisfaire une boulimie, vaguement artistique, qui traduit, surtout, d’un appétit excessif consumériste. Boulimie qui ne date pas d’hier puisque ce n’est que le résultat d’une évolution constante des fameuses trente glorieuses. Si l’industrie du cinéma n’a jamais vraiment eu à rougir, aujourd’hui elle est frappée de plein fouet par cette guerre sanitaire. Evidemment, et encore une fois, ça ne date pas d’hier, mais ce confinement international n’aura de fait que de frapper au sol un homme déjà amoché. Je me répète peut-être mais rien ne laissait présager une telle crise, peut-être un peu si on a lu tous les ouvrages de collapsologie qui prédisaient une fin de notre civilisation, du monde tel qu’il était jusqu’alors connu. Nous ne pouvons donc pas imputer la responsabilité totale sur le bon dos de qui que ce soit. Encore que c’est, encore, une bonne preuve de l’ingérence étatique, mais ça n’est pas le sujet.

Ma petite entreprise connaît pas la crise

Netflix a débarqué sur nos ordinateurs français en septembre 2014. Il était alors très attendu, tel le messie du streaming, payant certes, mais jouissant d’une très bonne réputation outre-Atlantique. Catalogue fourni et sympathique, voilà comment il était vendu. Catalogue fourni mais uniquement chez ceux qui votent Trump car, à sa sortie gauloise, le géant du streaming était d’une pauvreté sans nom. Entre trois films pourris et deux séries inconnues, les conseils fusaient pour installer un VPN américain pour profiter pleinement des 15€ par mois. Oui, parce que 15€ ça fait cher pour si peu de choix.

Mais Netflix France a bien grandi et a considérablement élargi son offre. Je vous passe les détails de son évolution, on la connaît tous plus ou moins, mais en un peu plus de 5 ans il est devenu la référence du streaming en France. Séries et films originaux car devenue une société de production, marketing offensif, publicité rondement menée pour faire avaler aux clients des bouses internationales. Mais soyons honnêtes, certains programmes sont loin d’être mauvais, même dans leur productions originales et certaines de leurs acquisitions font nettement plaisir, que ce soit pour découvrir, ou redécouvrir, certains chefs-d’œuvre ou pour flatter ce besoin nostalgico-régressif tellement humain.

Je critique, je critique, mais moi aussi j’ai un compte, que j’ai depuis bien plus longtemps que depuis mi-mars 2020. Je fais partie de ces gens que j’adore détester, les procrastinateurs engagés, démagogues invétérés, les pros du « faites c’que j’dis, pas c’que j’fais ». En écrivant ces mots je ne peux pas ne pas rouler des yeux. Mais, malheureusement, je suis loin d’être la seule à prêcher une bonne parole que je n’applique pas toujours.

La lie du cinéma ?

Hier, justement, je parcourais le catalogue en cherchant une nouveauté à me mettre sous la dent, afin de satisfaire mes velléités tardives d’un vendredi soir. Sortir est proscrit, ok, mais je ne vais pas me coucher à 22h un vendredi, c’est une question de principe ! Je fouille, je fouine, et là, je tombe sur une série, After Life, non-seulement avec Ricky Gervais, cet acteur britannique que j’aime tant, mais, et là j’en serais tombé de ma chaise si je n’avais pas été allongée sur mon lit, il est le réalisateur de cette série, qui doit sûrement être géniale, produite par Netflix… Je me rappelle vaguement du discours très agressif dont il nous avait fait grâce à l’ouverture des Golden Globes en 2020, alors qu’il était le Maître de Cérémonie de cet évènement grandiloquent. Tout le monde en prenait pour son grade et je l’avais d’ailleurs, dans mon souvenir, adoré et partagé sur Facebook. Edifiant, qu’on disait, enfin quelqu’un qui dit ce qu’il pense. Evidemment, en première ligne, la fameuse plateforme et, à l’époque, Mister Scorsese qui sortait son Irishman directement dessus, sans passer par la case ciné.

La question que je me pose, et qui vaut pour tout le monde moi y compris, c’est pourquoi instaurer, parfois à notre insu et totalement inconsciemment, ce fameux double discours ? Fustiger une chose dont on ne peut pas se passer. Au fond, si je suis totalement honnête, Netflix n’est pas la seule contradiction du monde dans lequel on vit. Elle en est devenue un symbole, symbole d’un monde qui va vite, très vite, qu’on peine parfois à suivre et qui nous force, d’une certaine manière, à courir le plus rapidement possible derrière un train en marche depuis trop longtemps pour que nos petites jambes soient en capacité de le rattraper. Et donc ? On s’essouffle. On s’arrête. On crie, on pleure, et on se dit, finalement, « c’est pas grave j’y arriverai autrement ». Nous vivons dans un monde capitaliste et individualiste, bercé d’idéaux formidables qui, la plupart du temps ne sont que surface pour caresser l’illusion qu’au fond, nous sommes des gens biens.

Les choses sont en train de changer et le changement, même si c’est maintenant, ne se fera pas sans douleur. Old habits die hard comme qui dirait, mais je m’égare à nouveau dans ces élucubrations aux airs de pamphlet politique de comptoir.

Les choses changent depuis un bout de temps déjà, et c’est en ça que Netflix est devenu un symbole. Symbole de la consommation rapide : vite publiée, vite ingurgitée, vite oubliée. La lie du cinéma.

Oui, mais…

Il y a toujours un oui mais. Et si on prend la problématique à l’envers on peut aussi y voir des avantages. Cet aspect de disponibilité fluide, partout, tout le temps, qui permet d’accéder à des pépites et sans quitter son canapé et pour seulement 15€ par mois. Ce n’est pas rien quand-même. N’en déplaise à l’intelligentsia artistique, sevrés au Cahiers du Cinéma, qui prennent de haut les films à explosions testostéronnés et ne jurent que par Godard et Truffaut. D’ailleurs, Truffaut parlons-en, ce monument du cinéma d’auteur français, qui depuis hier a considérablement enrichi les aspirations de légitimité cinématographique du géant du streaming. Un pas de plus, après l’acquisition de la totalité des films des studios Ghibli, vers une reconnaissance de ceux qui crachent sans vergogne sur le binge-watching.

Rien n’est plus agaçant qu’une personne qui tente de vous faire adhérer à des valeurs étrangères aux vôtres. Ces dictateurs de la bonne parole qui ne considère que leurs pairs, et encore, et qui vous font savoir que vous n’êtes pas à la hauteur de leur grandeur auto-proclamée. Au secours….

Tout n’est donc clairement pas à jeter, comme souvent, et si Netflix est aujourd’hui considéré par les uns comme une insulte au monde merveilleux du 7ème art, c’est aussi une plateforme bien fournie qui permet à tout un chacun d’accéder aux monuments du cinéma. J’ai déjà cité Miyazaki et Truffaut plus haut mais, depuis hier, les films de David Lynch, de Jacques Demy (les Demoiselles de Rochefort <3), de Charlie Chaplin ou encore de Xavier Dolan sont disponibles. Certaines productions Netflix sont survendues et décevantes, certes, mais d’autres sont de jolies découvertes. Et pour les autres, c’est au moins un moment Nutella, sympa, léger, huile de palmé, mais à consommer cependant avec modération ? Après tout, chacun fait bien ce qui lui plaît et ce malgré les prérogatives des autres.